« La Chine (et le monde) dans la tourmente »

La Revue de l’intelligence du monde consacre son numéro de mars et avril 2020 au coronavirus, sous le titre « La Chine (et le monde) dans la tourmente ».

37 pages pour comprendre en quoi l’épidémie du nouveau coronavirus Covid-19 a eu un impact aussi important sur la Chine, d’une part, et dans le monde, ensuite.

L’article principal de ce dossier est l’interview de Li Shaye, ambassadeur de Chine en France, qui explique dans un premier temps les raisons du développement économique de l’Empire du milieu :

« nous étions socialistes, dont logiquement nous nous sommes inspirés du modèle soviétique. Économie planifiée, industries lourdes … Le but était de gagner en puissance le pus rapidement possible et cela a été efficace, au moins en partie. Nous sommes passés d’une économie essentiellement agricole à un modèle industriel avec de a sidérurgie, des cimenteries, du nucléaires, du spatial, du militaire … Par contre, les industries plus légères, celles qui concernent la consommation de la population, ont émergé avec plus de retard. En partie parce que nous étions bloqués par les pays occidentaux » (p.10).

Par la suite, le diplomate chinois va poser la responsabilité des occidentaux. Il explique qu’« à partir du début des années 1990,  une forme d’extrémisme venu de l’extérieur s’est développée dans la région autonome du Xinjiang. Beaucoup de gens ont été endoctrinés par l’idéologie des terroristes » (p.14).

Un point de vue remit en question par Rémi Castets qui explique que la colère au Xinjiang, notamment celle des jeunes vient de « la colonisation et ses conséquences socio-économiques (qui, ndb) sont mal vécues par les Ouïghours ». Ce dernier développe son analyse dans son article « Le mal-être des Ouïghours du Xinjiang » (dans Perspectives chinoises, n°78, 2003. pp. 34-48).

Il explique que les conséquences économiques et sociales

« constituent le principal grief des mouvements de protestation. En effet, la colonisation tend par un processus complexe à exclure les minorités nationales du Xinjiang du partage des nouvelles richesses générées par la mise en valeur de la région. Pour tenter de stabiliser la région, l’Etat central a réalisé d’importants investissements qui ont contribué au développement de l’économie locale. Cette région autrefois parmi les plus pauvres de Chine est aujourd’hui, au sein des provinces du « Grand Ouest » chinois, celle qui dispose du PIB par habitant le plus élevé et elle se classe au 12e rang des provinces chinoises en termes de PIB par habitant. Cependant, ces données macro-économiques encourageantes cachent de fortes inégalités qui s’articulent le long de lignes ethniques. Les investissements, dirigés en priorité vers les zones de colonisation, ont aux yeux des Ouïghours surtout bénéficié aux colons han ».      

Toutefois, Li Shaye a assuré qu’ « il n’y a pas de contrôle de la liberté religieuse, c’est de la propagande des médias occidentaux », car « il n’y a pas d’encadrement de la pratique religieuse en Chine. Mais les croyants doivent observer la loi, pratiquer la religion dans le cadre de la loi ».

Lu Shaye, ambassadeur de Chine à Paris

Selon lui, les conflits intérieurs à la Chine « ne sont pas causés par des désaccords entre nos ethnies, ils sont provoqués par des ingérences étrangères dans nos affaires intérieures ». Rappelant les Guerres d’opium de 1839 à 1860 desquelles la Chine est sortie morcelée, divisée et dépouillée, Li Shaye indique que « les problèmes du Tibet du Xinjiang, de la Mongolie intérieure, de Taïwan sont nés ainsi ».

Prenant l’exemple de Taïwan, le diplomate assure que « le problème de Taïwan a été crée par les Etats-Unis. Sans leur intervenions, nous aurions réunifié Taïwan depuis longtemps ». D’ailleurs, « au lendemain de la Seconde guerre monde, ils ne s’y intéressaient pas. Mais le début de la guerre de Corée a changé la donne. Tout à coup, les américains ont considéré que Taïwan pouvait être utilisé comme une base avance pour contenir la Chine ».

Cette relation avec les Etats-Unis a été mise ces deux dernières années, avec une guerre commerciale sans précédent, sui s’est traduite par des taxes douanières réciproques. Cette guerre commerciale, lancée par le président américain Donald Trump aura remit en question la diplomatie chinoise vis-à-vis de son principal concurrent, les Etats-Unis.

« Un cessez-le-feu » a été signé le 15 janvier 2020, ce qui ne marque pas la fin de la guerre mais « le résultat de négociations sur un pied d’égalité.  (…)Nous avons réussi à les mener sur la table des négociations ».

D’ailleurs, la position américaine rejetée par la Chine est soutenue par les européens, selon Li Shaye, qui explique que « la Chine et les pays européens sont plutôt du même côté. Nous sommes (…) pour la préservation du système multilatéral du commerce mondial ».

Ainsi, dans un contexte international en plein bouleversement, il est très important pour la Chine d’avoir une bonne image en Occident, car « on ne veut pas de l’image déformée par la propagande médiatique occidentale. Nous nous efforçons de rendre à la Chine son image authentique. Mais notre soft power est encore faible ».

Un soft-power qui s’est installé en Afrique, où l’épidémie de coronavirus crée la panique. François Soudan évoque le cas du Balogun Market au Lagos, qui a sombré « dans le chaos sur la base d’une simple rumeur de commerçants chinois contaminés. A Abuja, toujours au Nigeria, des hommes faisant croire qu’ils sont infectés sèment la panique dans les rues »…  

« La faute aux réseaux sociaux qui rendent virales les moindres névroses, la preuve que l’Afrique n’est plus le continent oublié par la mondialisation, la conséquence aussi de la formidable expansion de la Chinafrique au cours des deux dernières décennies. »

Outre la psychose, « l’état de quarantaine auquel est soumise l’économie chinoise ne peut par ailleurs qu’avoir des répercussions négatives sur l’Afrique, dont elle est le premier partenaire commercial. » Ainsi, François Soudan indiqué que le Ghana, l’Afrique du Sud et le Mali, producteurs de pétrole, de cuivre, de fer, de cobalt, d’huile de palme et de cacao « constatent avec angoisse l’effondrement de leurs chiffres de commandes chinoises ».

Pour le professeur Marc Gentilini, spécialiste français des maladies infectieuses, le Covid-19 est un « drame plus économique que sanitaire, mais il faut faire attention : si on réagit trop fort, cela peut avoir des conséquences économiques vraiment graves. »

Malgré l’alarmisme ambiant, « du côté des autorités chinoises, on affiche toutefois un optimisme à toute épreuve », selon Olivier Marbot, qui cite l’ambassadeur Li Shaye :

« l’économie chinoise est devenue un océan capable de résister aux tempêtes. Quand cette crise sera finie, il y aura un rebond de la consommation des ménages ».

D’ailleurs, pour le Pr Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille, a évoqué à Gérard Haddad (p. 23) que l’épidémie de coronavirus est « une psychose collective. Beaucoup de bruit pour rien ».

En effet, « ce virus n’est pas spécifiquement asiatique et n’a pas les yeux bridés. Il appartient à toute une famille de virus, les coronavirus, justement, qui doivent leur nom à leur forme qui semble entourée d’une sorte de couronne. »

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Une couronne visible en grande partie chez les hommes, qui sont « le sexe faible » (p.25). Xavier Chimits explique les résultats de la revue scientifique The Lancet, qui assure que 67 hommes pour 32 femmes chez les 99 premiers malades admis dans un hôpital de Wuhan. « Cette conjonction incite de nombreux scientifiques à conclure que les hommes sont le sexe faible face au coronavirus », pour des raisons génétiques.

D’ailleurs, les hommes devront faire face à une « fichue panique financière », comme l’a indiqué Alain Faujas (p.26). Ce dernier a reprit les trois « ingrédients (… ayant) permit à une épidémie fréquente en Asie de provoquer une débâcle économique et financière » : la financiarisation, la mondialisation, et la spéculation.

Ainsi en « vingt ans, l’économie mondiale est devenue complètement dépendante de la finance ». De ce fait, tous les gérants de fonds se sont dits que (cette épidémie, ndb) paralyserait la Chine, usine du monde, l’empêcherait d’acheter les matières premières industrielles qu’elle dévore et de fournir les produits intermédiaires dont dépendent les industries des autres pays ».

Or les mesures drastiques du gouvernement et l’arrêt progressif de l’économie chinoise ont montré des effets positifs pour endiguer l’épidémie du nouveau coronavirus, Covid-19. Dès lors « les mêmes spéculateurs se sont dit que le virus n’était pas di dangereux, que Pékin avait réagi de façon efficace, que la Chine dispose d’une montagne de devises de 1 300 milliards de dollars qui pourrait servir à accélérer sa relance »…

Alors, « c’est parti pour le rachat des actifs cédés trois semaines plus tôt ! Le pétrole, le fer, l’huile de palme, ont renoué avec la hausse ». Dans un tel contexte et face aux incertitudes économiques, commerciales et financières, « deux sujets de réflexion s’imposent » aux acteurs de l’économie « réelle » (celle qui produit de vrais biens et de vrais services) : leur dépendance à la Chine mais « comment se passer de l’Empire du milieu », et le recul du multilatéralisme et de la mondialisation qui « fragilise les chaînes de valeur en faisant dépendre leur produit final de transferts internationaux de composants plus aléatoires que par le passé ».

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Pour Marc Guillaume (p.28), l’épidémie possède trois aspects. Ainsi,

« toute épidémie présente une affinité forte avec les médias. L’étymologie (du mot épidémie, ndb) indique déjà et rapproche l’épidémie de toutes les formes de communications. Le bouche à oreille de la rumeur circule comme la contagion microbienne et virale. En second lieu, l’épidémie fait naitre toutes les peurs liées à l’histoire de la peste et aux contagions contemporaines, favorisée par la mondialisation. Or la peur est une manière première qui propage la déformation de la réalité. En fin, cette peur est souvent légitime et raisonnable – l’histoire ancienne ou récente l’a montré -, mais elle peut aussi être exagérée de façon extrême. Se trouvent ainsi réunies toutes les composantes pour associer à l’épidémie un intense biais cognitif, pour compléter le virus par son double, (le virus) et la peur du virus ».

Eric Li

Pour terminer ce dossier sur le coronavirus : La Chine (et le monde) dans la tourmente, Gideon Rachman relate son entretien avec Eric Li, « investisseur basé à Shanghai, un pur capitaliste, et un commentateur de la vie politique à cheval entre l’Asie et l’Occident » (p.32). Ce dernier se dit être un « fan de Xi Jinping », qui a répondu au besoin de la Chine d’un « leadership ferme capable d’endiguer la corruption. Xi Jinping était cette figure ‘charismatique’ qu’il fallait au pays », pour Eric Li.

Sur le coronavirus, Eric Li explique que « les deux principales caractéristiques du système chinois sont l’efficacité de l’2tat et le sens de l’intérêt collectif. Elles permettront au pays de remporter ce combat et de sortit de cette crise. » Une analyse qui a depuis la publication de la revue montrée sa véracité. En effet, la Chine est parvenue à freiner l’épidémie de nouveau coronavirus sur son territoire, après deux mois de confinement et de quarantaine de nombreuses villes.

Concernant « les restrictions au débat public », Eric Li explique que « la nation chinoise a débattu pendant des décennies du modèle de gouvernement et de société qu’elle voulait adopter. Certains voulaient un régime plus libéral. Mais je crois qu’aujourd’hui le débat est clos ». Selon lui, un nouveau monde dont la discussion serait bannie pourrait l’ennuyer : « peut être que l’ennui est le prix à payer ».

Suite à cet entretien, Gideon Rachman fait part de son scepticisme à l’égard de la Chine (p.36). « La raison principale de mon pessimisme croissant est le développement d’un culte de la personnalité autour du président Xi Jinping. Selon lui, « un culte de la personnalité rend plus probables de mauvais choix politiques, les conseillers peureux et courtisans préférant dire au grand chef ce qu’il souhaite entendre plutôt que ce qui se passe réellement ».



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